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Hypothèses
dinsertions
Quelques
pas vers une activation ludique des espaces urbains
Luc Lévesque
Le projet Hypothèses
dinsertions a été réalisé durant lété
2002 dans le centre-ville de Hull/ Gatineau, portion québécoise
de la région métropolitaine dOttawa. Ce centre-ville,
fortement déstabilisé par les interventions gouvernementales
de « rénovation urbaine » des années 70-80,
forme un mélange étrange de tours à bureaux, stationnements
à ciel ouvert et « strips » commerciales plaqués
aux restes de modestes quartiers ouvriers. Le paysage urbain résultant,
riche en espaces sous-utilisés, est communément considéré
comme une horreur faisant face à la capitale nationale canadienne.
La première
phase du projet Hypothèses dinsertions consiste à
explorer et occuper temporairement le paysage urbain de Hull avec un élément
ludique mobile : une table de ping-pong. Laction centrale du projet
est donc de parcourir la ville avec cette table à la recherche
de lieux où sarrêter pour jouer. Une grande quantité
despaces urbains plus ou moins inusités apparaissent à
cet effet potentiellement disponibles. Mais lapparente ouverture
des vides urbains permet-elle vraiment une appropriation citadine non
programmée ? Sinsérant dans le substrat banalisé
du quotidien, la pratique inopinée de la détente et du jeu
peut-elle générer par ailleurs de nouveaux rapports à
lenvironnement immédiat? Cest à ce type de questionnements
que nous nous sommes intéressés dans ce laboratoire. Celui-ci
a pris la forme de cinq jours de promenade urbaine, au cours desquels
une vingtaine de sites (stationnements divers, places institutionnelles,
terrains vagues, emprises routières et autoroutières, etc.)
ont été ainsi expérimentés et archivés,
autant le jour que la nuit, dans un territoire du centre-ville denviron
trois kilomètres carrés. À la fin de la dérive,
la table de ping-pong est installée environ deux mois dans une
galerie, visible de la rue, du centre dartistes hullois AxeNeo7.
Deux moniteurs vidéo fixés aux murs à chaque extrémité
de la table présentent des extraits des actions et explorations
urbaines pendant que paysages sonores variés (bruits de la table
roulant dans les rues, sons du ping-pong, environnements urbains, interactions
avec des citadins) sont diffusés dans la pièce à
partir de trois sources principales (moniteurs, casques découte
sur un banc, haut-parleurs fixés sous la table). La table de ping-pong
dans la galerie est offerte au jeu des visiteurs/joueurs qui peuvent pendant
quils jouent, voir et entendre les sites urbains extérieurs
où le jeu a eu lieu et pourrait avoir lieu de nouveau. Dans la
même foulée, des cartes postales illustrant les « situations
» de ping-pong urbain sont disséminées et insérées
en différents lieux de la région métropolitaine comme
invitations à voir et utiliser différemment les espaces
existants de la ville. Après son séjour dans la galerie,
la table de ping-pong trouvera son refuge final dans un centre de réinsertion
sociale de Hull/Gatineau alors que les cartes postales en dérive
inspireront peut-être dautre pratiques urbaines ludiques.
Diverses observations
peuvent être dégagées de cette expérience.
Parmi celles-ci, un constat ressort : le problème de lespace
urbain à Hull/Gatineau, comme dans celui de la plupart des villes
occidentales, ne relève pas tant dune question desthétique
ou defficacité mais bien plutôt de louverture
aux usages que les administrations publiques et privées sont consentantes
à tolérer ou encourager dans les espaces quelles gèrent.
Dimmenses surfaces de stationnement bondées la semaine durant
les heures de bureaux deviennent par exemple absolument vides en soirée
et pendant le weekend. Ces espaces asphaltés souvent décriés
constituent en fait, une fois vidés, de magnifiques esplanades
sur la ville environnante en plus dêtre des aires potentielles
dactivités ludiques particulièrement agréables
à occuper. Dautres espaces qui ont à linverse
laspect de places publiques, ne sont dans les faits que des vides
cosmétiques où loccupation est a priori suspectée
par la surveillance lorsquelle nest pas subtilement découragée
par des choix de design.
Lenjeu que
nous semble soulever ces quelques observations sur la spatialité
urbaine réside dans la capacité doffrir de lespacement
aux différentes pratiques et temporalités qui active le
paysage urbain. Le danger ici, cest de limiter le statut de lespace
public à celui dune image statique à protéger.
Le défi réside, à linverse, dans la recherche
de modes dinterventions qui intègrent comme donnée
essentielle une gestion ouverte de lindéterminé urbain.
Cest dans cette perspective que sinscrit lactivation
ludique des espaces sous-utilisés de la ville.
Luc Lévesque (2002-2003)
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