Asphaltographie urbaine: quelques modalités d’expériences

Luc Lévesque

Symbole urbain à consonance souvent péjorative, l’asphalte recouvre routes et rues du monde et c’est justement peut-être son aspect générique qui tendrait à nous en détourner. Mais connaissons-nous vraiment cette matière,  support banalisé de nos pérégrinations quotidiennes? Si l’asphalte possède une histoire surprenante [1] , comme l’a notamment démontré Herbert Abraham dans son incontournable ouvrage Asphalts and allied substances, elle s’associe aussi, pour peu que l’on s’y attarde, à un ensemble varié de perceptions et de pratiques. Ce sont  quelques unes de ces modalités d’expériences que nous nous proposons ici de parcourir.

Une certaine sauvagerie 

Si le gazon représente la face exposée du paysage pittoresque rectifié de l’« american way of life » [2] , l’asphalte en constitue sans équivoque la contrepartie sauvage et entière. Ces deux entités paysagères incarnent d’autre part par une sorte d’étrange inversion, le brouillage nature/artifice qui s’est progressivement opéré à partir de la seconde moitié du 19ième  siècle. Le gazon symbolise une « nature idéale » rendue possible grâce à l’appui d’un imposant arsenal d’artifices, alors que l’asphalte, exprimant la condition urbaine la plus brute,  en vient paradoxalement à s’associer au caractère rude des régions naturelles les plus inhospitalières. Le bitume participerait en cela de cette « nouvelle primitivité » qu’un François Béguin [3] voit notamment émerger des interstices des environnements urbains. Comme si se retrouvait dans la tension entre la fragilité des corps et la rude sincérité de la matière urbaine, l’émotion d’un nouveau type d’aventure s’inscrivant en contrepoint aux plaisirs hédonistes et sédentaires du confort gazonné [4] .

L’asphalte extériorise sans pudeur la violence que le gazon tend à réprimer. Une authenticité qui contraste avec l’apparent bucolisme derrière lequel se cache la sourde barbarie du « pastoralisme moderne  [5] ». David Lynch a bien exprimé « l’inquiétante étrangeté » et le cauchemar occulté par la façade sereine des gazons de banlieue [6] . L’asphalte joue d’un autre registre. S’il y a mystère, il s’inscrit plutôt dans le caractère multiple de la trace, dans l’ouverture non ostentatoire d’un palimpseste oublié côtoyé quotidiennement. Comme le note le poète Michel Van Schendel en préface d’un recueil intitulé Bitumes : « Le pluriel de l’asphalte où adviennent les misères résume aussi une solidarité des événements de même qu’un échange des mots, rythmes, scansions qui leur donnent voix [7]  ». C’est peut-être cette plasticité scripturale du bitume enregistrant l’empreinte de la vie ordinaireet inattendue des  villes qui a fasciné nombre de poètes, d’écrivains et de cinéastes [8] . Il est d’ailleurs intéressant de se rappeler que c’est en utilisant l’asphalte que Niépce, l’inventeur de la photographie, réussira à fixer ces premières images en 1820. L’asphalte condense le meilleur et le pire de l’urbain ; témoin de l’intensité d’un enchevêtrement d’actions imparables mais aussi de la grisaille sans merci et de la dure réalité de la rue. Double nature de l’asphalte.  

Par delà la dureté

Afférente au brutalisme que symptomatisent l’asphalte et l’invasion de la ville par l’automobile [9] , s’est développée une série de pratiques s’appropriant progressivement les potentiels de cet  environnement de prime abord rébarbatif [10] . Ce sont, par exemple, à partir des années 80, les rappers [11] et leur prolifique descendance qui rythme la mesure d’une poésie dansée à ras la chaussée ou,  au début des années 90, les élans de la musique techno-industrielle transposant la corrosivité des surfaces urbaines  en pulsations sonores tonitruantes, ce sont aussi les « skaters [12]  » portant l’énergie du surf à même la topographie de nouveaux océans minéralisées, les clans de messagers-cyclistes [13] qui chevauchent leur monture tout-terrain dans un trafic urbain périlleux ou encore, plus récemment,  l’économie parallèle de « squeegees [14]  » exploitant le ralentissement intermittent des flux automobiles. Un tribalisme urbain s’institue à même la dureté du  paysage. S’il n’est le fait en pratique que d’une certaine marginalité, l’onde de choc qu’il répercute a une influence déterminante sur la mode des masses. Outre une nouvelle attitude au corps qui devient support sémiologique avec la résurgence à grande échelle du tatouage et du « body-piercing », c’est surtout l’appropriation des pratiques sportives par la mode urbaine qui semble avoir atteint ces dernières années un niveau déterminant. Ceci est particulièrement évident lorsqu’on observe les chaussures. Si l’intérêt pour les développements technologiques du soulier de sport fut longtemps l’apanage des athlètes et plus spécialement des coureurs sur routes [15] ­ ces « bouffeurs » de bitume ­ il constitue aujourd’hui un phénomène généralisé qui transcende le monde de la performance  athlétique. Il ne s’agit plus tant de sport que des modalités esthétiques d’une « vie sportive » comme stratégie d’adaptation à l’intensité urbaine. La gent féminine « bcbg » des bureaux américains avait depuis un certain temps troqué pragmatiquement et au détriment de l’apparence stylistique le supplice du talon-aiguille pour la stabilité de la chaussure de jogging. Depuis quelques années, c’est en particulier la mode branchée qui a réinvesti activement le champ esthétique du sport. Les chaussures de « basket », de « skate », de randonnée ou de course à pied sont achetées de plus en plus comme souliers de ville pour l’image qu’elles véhiculent [16] . On assiste, en parallèle, à une mutation du soulier de ville semblant relevée d’une hybridation avec la chaussure sportive. Couleurs vives, matériaux synthétiques, stabilité renforcée et semelles plus épaisses constituent, en effet, quelques-unes des nouvelles caractéristiques du soulier de ville « branché ».

Mais au-delà de l’apparence, c’est aussi un rapport différent au toucher et à l’expérience urbaine qu’incarnent ces transformations. L’amélioration des dispositifs d’absorption a réduit considérablement l’impact au sol. Le contact avec la dureté du plancher urbain s’adoucit et prend du ressort. Loin de confiner à la passivité, ce nouveau type de confort dynamique mène potentiellement à l’intensification de l’expérience. Quand Nike, la multinationale de la chaussure sportive, se targue de « changer l’asphalte en coussin [17]  » c’est à une colonisation de la rudesse urbaine qu’elle convie. Le cross-country s’expérimente désormais dans le quotidien des paysages les plus urbanisés ; l’asphalte devient la roche d’un nouveau type de toundra et le « coussin d’air [18] », la marque d’une adaptation dynamique au milieu.

Lignes de fuite

Ne rattacher l’asphalte qu’à la dureté de l’environnement urbain serait oublier tout ce qui lie cette substance à la fluidité. Il s’agit, en fait, d’un matériau fondamentalement vivant, qui comme la matière organique réagit aux fluctuations des conditions atmosphériques. Du fluide au solide ou du solide au fluide, l’asphalte conserve un potentiel latent de transformation [19] . Des  profondeurs géologiques aux surfaces pavées, le fil des  variations n’est jamais définitivement coupé. Selon la composition chimique et les conditions de température, la modification de l’équilibre colloïdal du bitume détermine une gamme complexe de comportements oscillant entre viscosité et élasticité [20] .

Mais outre des propriétés rhéologiques variables, c’est aussi un ensemble d’expériences et d’usages qui rend le bitume solidaire de la multiplicité du mouvement [21] . Le bitume, c’est notamment la route avec tout ce qu’elle représente de dangers, mais aussi d’escapades libératrices [22] . Lorsque François Dagognet décrit celle-ci comme cette « sorte de matérialité qui pousse à la mouvance [23]  », il marque l’étroite adéquation qui relie le matériau aux actions dont il est le support. Il s’agit bien, en effet, d’un même rapport instable entre solidité et flux, territoire et déterritorialisation. À l’inverse du béton, dont les agrégats une fois cimentés reprennent les propriétés statiques de la pierre, le bitume confère à la matière lithique une souplesse étonnante [24] . C’est ce qui rend l’asphalte si proche de l’expérience du roulement.  D’ailleurs,  comme le remarquent John B. Rae et Clay McShane, il existe une relation étroite entre l’adoption de l’asphalte comme revêtement de chaussée dans le courant du 19ièmesiècle et le développement de l’automobile [25] .  Par-delà les conséquences historiques et sociologiques de cette évolution symbiotique, le couple asphalte/automobile demeure une donnée sensible de la conduite. Car, si le roulement pneumatique médiatise le tact, il ne l’annihile pas : rouler du béton à l’asphalte, c’est passer d’une sensation de strié à celle de lisse, de la dureté architecturée à la sensualité d’un effleurement épidermique [26] . Cette lubrification du mouvement participe de plus à la transformation radicale du rôle de la rue et de l’urbanité en général à la fin du 19ièmesiècle. La rue comme place publique commence en effet dès cette époque à être remise en question. Une interaction complexe de facteurs explique le phénomène : le développement de banlieues à faible densité, les innovations technologiques en matière de transport, des préoccupations sanitaires et sécuritaires [27] croissantes et la guerre d’influence à  laquelle se livrent les ingénieurs en travaux publics contribuent à cette mutation. Il est indéniable que le duo asphalte/automobile a constitué un agent déterminant dans les processus d’étalement et de dilution qui continue à éroder l’organisation des centres urbains. Si l’asphalte symbolise souvent de façon péjorative l’emprise étouffante de la ville minéralisée, elle incarne aussi la promesse d’évasions et d’aventures qu’ont largement popularisée la littérature Beat [28] et le « road movie [29]  » et qui continue d’être véhiculée sous d’autres registres dans les imageries publicitaires actuelles. Le cinéma a joué en effet un rôle essentiel dans l’invention d’un imaginaire de la route contemporaine alors que le défilement des  paysages perçus à travers le pare-brise de l’automobile en mouvement a corrélativement tout de l’expérience cinématographique comme l’a maintes fois signalé Paul Virilio. Le ruban d’asphalte est en cela analogue à la pellicule. Traversée initiatique « du non-lieu porteur de tous les possibles [30]  » le film de la route est à la fois fuite et confrontation, coupure et liaison [31] , hyperréalité et hallucination [32] .

Confortablement calé dans l’habitacle hermétique de la voiture [33] , l’automobiliste visionne le défilement continu des images paysagères dans un état d’insensibilité relative proche de l’hypnose. L’expérience constitue en fait un exemple type de « réception en état de distraction ». Ce modèle que proposait Walter Benjamin [34] , prenant pour référence l’architecture et le cinéma dans les années trente, semble être devenu le mode de perception dominant des collectivités contemporaines. Si en 1936 « n'importe lequel passant (…) dans le trafic d’une grande ville [35]  » était à même d’expérimenter cette modalité perceptive, il n’est pas étonnant, comme le signale Stan Allen, que cette condition soit plus que jamais aujourd’hui déterminante. L’accélération, la complexité et la mutabilité des niveaux d’informations qui saturent notre environnement quotidien amplifient la nécessité d’un balayage perceptuel diffus. Se frayer un chemin à même cette texture événementielle exige l’ouverture des modalités d’appréhension. La vision périphérique revêt ici une importance stratégique, car il nous faut de plus en plus scanner le réel avant de le regarder. Mais bien que ce mode de réception puisse être accentué par la célérité motorisée, il ne lui est pas intrinsèquement lié. Le patineur roulant en plein trafic  dans rues de la ville expérimente à la fois le flottement et la conscience de l’infime : oscillation d’une appréhension haptique où l’œil doit aussi toucher.

À l’affût des inflexions

Matériau de capture, l’asphalte témoigne que le sol fuit sous nos pas. Infléchir le regard vers le bas permet un rebranchement à la fluence fondamentale de la Terre. C’est à un nouvel art de «surf [36] » comme couplage dynamique avec l’indéterminé qu’appelle cette reconnexion au plancher  urbain. Le caractère hybride, la nature organique et polyvoque de l’asphalte refait ici surface. Car, si l’asphalte déterritorialise la ville en contribuant au lissage de ses lignes de fuite, il offre aussi une microtopographie qui s’apprécie dans la lenteur relative. L’asphalte est un palimpseste enregistrant les traces de la vie urbaine. Il prend l’âge, peut être greffé, marqué et lu comme une peau. Oscillant entre solidité et flux, adhérence et fuite, la surface asphaltée  condense la condition instable de la substance urbaine contemporaine. Suivre  le cours labyrinthique de ses fissures et de ses plis, s’attarder à la complexité picturale du patchwork qu’elle compose, ou glisser sur elle dans l’hallucination cinématique de la vélocité,  c’est saisir des virtualités concrètes et  inventer un nouveau type de pittoresque.

  Luc Lévesque, 1998-2001


[1] Herbert Abraham, Asphalts and allied substances, New York, Van Nostrand, 5 volumes, 1ère éd. 1918. La première mention de l’usage de l’asphalte remonterait à l’époque prébabylonienne en Mésopotamie  vers 3800 av. J.-C. On l’utilise dans les maçonneries de construction ou pour le pavage des chaussées à la fois comme mortier, surface de protection et produit d’étanchéité (Tour de Babel (Genèse XI, 3), rues de Babylone, etc.). L’asphalte aurait aussi été utilisée par les égyptiens dans leur  techniques de momification. Le terme « momie » (mûmîa) qui apparaît vers le premier millénaire en Arabie et à Byzance signifie d’ailleurs « bitume » .  L’asphalte  sera de même à l’Antiquité employée à des fins artistiques  comme en témoigne de nombreux artefacts conservés au Musée du Louvre (Voir : Jacques Connan et Odile Deschesne, Le bitume à Suse, collection du Musée du Louvre, Paris, édition de la Réunion des musées nationaux, 1996). Avec l’avènement de l’Empire romain, l’usage courant de l’asphalte diminue progressivement. Il faudra attendre les découvertes d’importants dépôts asphaltiques en Suisse, en Allemagne et en France au début  du 18ièmesiècle, pour que soit relancée l’utilisation de l’asphalte  en Europe à l’aube  de l’industrialisation.

[2] Voir : Georges Teyssot (dir.), The American Lawn:  Surface of Everyday Life, New York, Princeton Architectural Press, Centre Canadien d’Architecture (Montréal), 1999.

[3] François Béguin, La vision paysage, Paris, Ministère de l’urbanisme et du logement, 1984, p. 116-125.

[4] On pourrait ici  en opposition au caractère contrôlé du gazon  se référer aux expériences entropiques de l’artiste Lois  Weiberger liant surfaces d’asphalte morcelées et végétation rudérale (Documenta X, Kassel, 1997).

[5] Peter G. Rowe  a proposé le concept de « pastoralisme moderne » pour décrire la bipolarité d’un mode d’aménagement reliant une perspective pastorale idéalisant le pittoresque de la vie à la campagne à une vision technique propre aux préoccupations instrumentales de la science moderne. Une tension qui conférerait, selon Rowe, à ce modèle idéologique un puissant potentiel critique. Dans les faits, cette quête vertueuse d’équilibre tendrait plutôt, bien souvent,  à constituer un redoutable leurre. Comme l’admet lui-même Rowe, la bienveillante façade pastorale  peut aussi masquer des réalités bien moins agréables. Peter G. Rowe, Making a middle landscape, Cambridge, Londres, MIT Press, 1991, p. 232-247.

[6] C’est notamment le fameux prélude du film « Blue Velvet » (David Lynch, 1986) où la troublante microviolence qui habite la pelouse (l’oreille déchiquetée) annonce les perversités de l’apparente bonhomie suburbaine.

[7] Michel Van Schendel, Bitumes, Montréal, L’Hexagone, 1998, p.14.

[8] Ce sont, notamment, des recueils de poèmes : Orrick Johns (Asphalt and other poems, 1917), Michel Van Schendel (Bitumes,1998), etc.; des films :  Joe May (Asphalt, 1929), John Huston (Asphalt Jungle, 1950), etc.; des œuvres littéraires diverses: Svetoslav Minkov (Asphalte et autres histoires tout à fait étranges, 1968), Serge Séguret (Le cri de l’asphalte, 1997), etc.  C’est aussi  l'écriture plastique d’un peintre comme Jean Dubuffet (Mirobolus, Macadam & Cie, Hautes Pâtes ,  Texturologies, etc.) ou le projet photographique d’un Edward Ruscha, Thirty-Four Parking Lots in Los Angeles, 1967).

[9] Lire à propos de l’ampleur de ce phénomène d’invasion de l’automobile aux États-Unis : Jane Holz Kay, Asphalt Nation. How the automobile took over America and how we can take it back, New York, Crown Publishers,1997.

[10] Voir : Yves Pedrazzini, Sociologie du hors piste urbain, Paris, Montréal, 2001.

[11] Lire à ce sujet le paragraphe qu’y consacre Jean Baudrillard dans Amériques, Paris, Grasset, 1986, p. 24 (chap. sur New York).

[12] Terme général désignant les adeptes du skateboard et du patin à roues alignées. Lire au sujet du type de répression dont les skateboarders sont la cible dans les espaces publics : Ian Borden, « An affirmation of urban life, skateboarding and socio-spatial censorship in the late twentieth century city », Archis, mai 1998, p. 46-51. À propos de la pratique de patin à roues-alignées , lire : Daniel Wagner, « Inline-skating : les cow-boys modernes de l’asphalte », Anthos, avril  1999, p. 15-19.

[13] Voir à ce sujet le film 2 secondes de Manon Briand réalisé  à Montréal en 1998.

[14] Le terme « squeegee » est utilisé en Amérique pour désigner  ceux (très souvent des « jeunes de la rue » marginalisés) qui lavent pour une contribution volontaire les pare-brise des automobilistes en attente aux feux de circulation. 

[15] Voir à ce sujet  la revue Spiridon. Lancée en 1972 , elle fut l’une des premières publications à promouvoir la course hors stade qui prendra un essor important dans les années 80.

[16] Lire à ce propos : Mark Kingwell, « Sole searching », Azure Magazine (Design  Architecture & Art ), Toronto, juillet-août 2000, p. 40-43 et 61.

[17] Campagne  publicitaire de Nike, 1997 :  « Qui a changé l’asphalte en coussin? (Nike) ».

[18] Dispositif d’absorption (le concept du coussinage) développé par Nike et utilisant de l’air encapsulé dans la semelle.

[19] C’est ce thème qu’a exploité l’artiste suédois Mikael Lundberg en décoffrant un cube d’asphalte sur une aire de stationnement du centre-ville d’Amos et en le laissant se déformer et s’écraser sur la chaussée. (« Asphalt Cube »). Vingt mille-lieux sur l’Esker, Troisième Symposium des arts visuels de l’Abitibi-Témiscamingue, Amos, Québec, juillet 1997. Lire à ce sujet : Guy Durand, « Le bloc erratique liquéfié », Inter art actuel, no 69 (Paysages), Québec, 1998, p.71-75. L’artiste américain Robert Smithson avait  aussi  exploité la  fluidité  de l’asphalte dans son fameux  « Asphalt Rundown » réalisé à Rome en 1969.

[20] Ralph N. Traxler, Asphalt, Its composition,properties and uses, New York, Reeinhold Publishing Corporation, 1961, p.43-89.

[21] Le  commentaire accompagnant le début du film Asphalt  (Joe May, 1929), où l’on voit des ouvriers coulant de l’asphalte sur une rue,  traduit bien  le rapport  de ce matériau au mouvement et à l’effervescence urbaine : «  Asphalte…pavés …pilonnage de muscles, de sueur et de fer pour ouvrir un chemin à l’homme, une voie lisse…une route d’asphalte. Pieds…roues…grondements et rugissements, bruits stridents, clameurs d’une cité…mouvante…en perpétuel écoulement…comme la vie elle même ».

[22] Voir :  Qu’est-ce qu’une route?, Cahier de médiologie, no 2, Paris, Gallimard, 1996.

[23] François Dagognet, « Route, anti-route, méta-route », Qu’est-ce qu’une route?, op.cit., p. 22.

[24] Digestes de la construction du Canada, no 15F ( N.B. Hutcheon, le Béton, Ottawa, 1962) et no 38F (P.M. Jones, Les matériaux bitumineux, Ottawa, 1964).

[25] John B. Rae, The road and the car in American life, Cambridge, MIT Press, 1971. Clay Mcshane, Down the asphalt path; the automobile and the american city, New-York, Columbia University Press, 1994.

[26] L'écrivain québécois Hubert Aquin a très bien décrit cette sensation dans « Confession d’un héros » (1961), Blocs erratiques, textes 1948-1977, Montréal, Les Quinze, 1982, p. 231 : « Quand je suis au volant aliéné par mon extase multiple, je prends sournoisement possession de ma ville, je la parcours comme un frisson, je glisse sur sa peau en l’effleurant et je dessine sur son corps obscur la courbe d’une épaule (…) ».

[27] Ce sont notamment des considérations d’ordre sanitaire qui favoriseront l’asphalte comme revêtement de chaussée urbaine, la surface lisse facilitant de beaucoup  le nettoyage. En 1858, Samuel Nicholson met au point le pavé de bois imprégné de créosote. Chicago et Détroit pavent leurs rues avec ce procédé. Des problèmes évidents de durabilité mais surtout le grand feu qui frappe Chicago en 1871 signent le déclin de cette technique. Les pavés hautement inflammables sont en effet accusés d’avoir servis d’agents de propagation des flammes. L’élargissement des rues et leur asphaltage constituent alors  une stratégie coupe-feu efficace pour les ingénieurs des travaux publics. Clay McShane, op. cit., p. 59-60 et 79. Dans le même esprit, c’est cette stratégie coupe-feu  opérée après des incendies dévastateurs qui explique encore aujourd’hui, par exemple, la largeur monumentale des rues d’une petite ville forestière comme Amos au Québec.

[28] L’univers de quête existentielle et d’expérimentation nomade des écrivains Beat passe par une expérience intensive de la route. On pense ici bien entendu au roman culte de Jack Kerouac : On the road (1955).

[29] Transposition contemporaine de la grande tradition américaine du western des Antonny Mann et John Ford, le « road movie » devient à partir des années 60 un genre cinématographique à part entière. Principalement américain au départ (Dennis Hopper, Easy Rider, 1969; Steven Spielberg, Duel, 1971, etc.), il sera réinvesti par les sensibilités les plus diverses. On pense ici notamment au travail incontournable de l’allemand Wim Wenders (Au fil du temps,1976; Paris Texas, 1985, etc.) mais aussi dans un tout autre registre aux « westerns postpocalyptiques » de George Miller (Mad Max, 1979/1981), aux atmosphères troubles de David Cronenbergh (Crash,1996) ou aux explorations contrastées d’un David Lynch (Wild at Heart, 1990 ; Lost Highway, 1997;  The Straight Story, 1999).

[30] Michel Foucher, « Du désert, paysage du western », Hérodote, no 8, Paris, 1984, p. 147.  Lire aussi au sujet du « non-lieu », Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992.

[31] Lire au sujet de ce double aspect, la réflexion de  Serge Tisseron initiée à partir de « photographies de routes » de Dorothea Lange (1954) et Robert Franck (1971). Serge Tisseron, « Choses vues », Qu’est-ce qu’une route?, Cahier de médiologie, no 2, Paris, 1996, p. 165-70.

[32] Voir le générique du film Lost Highway de David Lynch, 1997.

[33] On pense ici à la fameuse remarque du sculpteur Tony Smith pour qui l’expérience de rouler la nuit sur le bitume d’une route non achevée (pas d’éclairage ni « sémiologie » routière) constitua une expérience déterminante. et révélatrice (Tony Smith, Art forum, décembre 1966, p. 19 ). Deleuze utilise cet exemple pour souligner l’aspect monadique de l’expérience automobile. : « la voiture close lancée sur route obscure » comme nouvelle version de la monade leibnizienne. (Gilles Deleuze, Le Pli. Leibniz et le baroque, Paris, Éditions de Minuit, 1988, p.188). La voiture comme nouvelle chapelle du recueillement contemporain.

[34] Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1936), L’art et la photographie, Paris, Éditions Carré, 1997.

[35] Walter Benjamin, ibid., p. 61.

[36] Gilles Deleuze, « post-scriptum, sur les sociétés de contrôle » (1990), in Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990,

p.  244. : «  Partout le surf a déjà remplacé les vieux sports ».

 
 
 
 
 
File written by Adobe Photoshop® 4.0Asphalte : paysage réticulaire                                                 photo : Luc Lévesque    
           
 

File written by Adobe Photoshop® 4.0Asphalte : Fissures,  incisions  et colmatage                   photo : Luc Lévesque

   
 

 Asphalte : striage                                                              photo : Luc Lévesque

   

File written by Adobe Photoshop® 4.0 Asphalte : du lisse et du strié                                           photo : Luc Lévesque

File written by Adobe Photoshop® 4.0 Asphalte : toundra urbaine                                               photo : Luc Lévesque

File written by Adobe Photoshop® 4.0 Asphalte : signes, usure et greffe                                 photo: Luc Lévesque

                                                                                               

 
 Asphalte : support d'expressions                                 photo: Luc Lévesque
Asphalte : paysage à parcourir  

photo : Luc Lévesque